Pourquoi, alors que nous sommes tous conscients de la menace qui pèse sur notre planète, est-il si difficile d’agir pour le climat ? De nombreuses études scientifiques blâment le système de récompense du cerveau, qui valorise le court terme.
Ce sont de petits conflits dont nous sommes nombreux à faire l’expérience : se déplacer exclusivement à vélo ou en transports en commun, trier scrupuleusement ses déchets… puis se payer un steak tous les deux jours, des vacances à l’autre bout du monde et aller skier sur un glacier en recul. Tous les signaux de la planète sont au rouge et notre conscience souhaite de tout cœur renverser la tendance. Pourquoi, dès lors, est-il si difficile de prendre des décisions cohérentes ?
Ces pulsions de consommation, si difficiles à refouler, peuvent en partie être expliquées par le fonctionnement de notre cerveau. C’est ce que démontrent de nombreuses études parues ces dernières années. Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, est parti de ce constat pour écrire un livre, Le Bug humain, qui s’appuie sur 300 études universitaires : « Nous sommes bien conscients des problèmes qui nous guettent, mais on n’arrive pas à changer radicalement notre comportement », explique-t-il.
De la survie à la société d’abondance
Le coupable : le striatum, une partie de notre cerveau où sont présents de très nombreux récepteurs à dopamine, ce puissant neurotransmetteur qui renforce les actions habituellement bénéfiques pour la survie de l’individu, telles que manger un aliment sain, en provoquant une sensation de plaisir. « Les sciences de l’évolution montrent que c’était un avantage dans un milieu hostile : il fallait que le cerveau récompense une information captée par la libération de dopamine. Puis, à partir de la révolution industrielle, nous avons commencé à alimenter sans limite notre cerveau en dopamine dans une société de l’abondance. Aujourd’hui, nous sommes devenus accros », poursuit Sébastien Bohler.
Les neurones liés à la dopamine s’habituent à la dose que nous leur donnons. Si la simulation est la même jour après jour, la sensation de plaisir s’affaiblit. Mais dans un monde menacé par le réchauffement climatique, pourquoi produire une bonne action en vue de limiter notre impact sur le climat n’a-t-il pas le même effet sur le cerveau que se payer un hamburger au coin de la rue ?
Wolfram Schultz, professeur en neurosciences à l’Université de Cambridge et primé plusieurs fois pour ses travaux sur le système de récompense du cerveau, estime que le problème avec nos actions écologiques est que leur impact positif aura lieu dans un futur trop lointain pour nous.
« Tous les neurones de la récompense connus enregistrent une valeur moins importante à mesure que l’action entreprise aura un effet bénéfique éloigné dans le futur. Ainsi, les centres de la récompense de notre cerveau se concentrent sur des récompenses proches de nous dans le temps et dévalorisent les bénéfices lointains », nous confie-t-il. Un avis partagé par Robert Gifford, professeur de psychologie et d’études environnementales à l’Université de Victoria au Canada. « Notre cerveau s’est développé quand l’homme vivait encore dans la savane, avec une obligation d’être entièrement concentré sur le « ici et maintenant ». Nous pouvons « prévoir » bien sûr, mais nous revenons souvent par défaut au mode « ici et maintenant » dans notre vie », dit-il.
Privilégier le bénéfice immédiat
Se priver d’un filet de bœuf nous est ainsi difficile, alors que nous savons que la filière bovine a un impact environnemental important : le bénéfice pour la planète sera lointain et difficile à matérialiser pour notre esprit. Tout le contraire du goût, qui régale nos papilles et notre cerveau. « Il y a compétition entre les centres cognitifs de notre cerveau qui nous disent de ne pas polluer le monde et notre système de récompense qui voudrait que nous conduisions une voiture de luxe, qui consomme beaucoup d’essence », image Wolfram Schultz.
Le principal enjeu pour encourager les gens à agir en faveur de l’environnement est de leur donner la possibilité de se sentir récompensés sur le court terme. « Il y a une discontinuité spatiale dans notre rapport au changement climatique. Nous pouvons nous soucier des ours polaires ou de la faune et de la flore de pays lointains, mais ça ne devrait pas être la priorité. Nous avons besoin de plus de gens conscients des conséquences du changement climatique dans leur région pour être efficaces », estime le chercheur canadien Robert Gifford. Plutôt que de publier des photos d’orangs-outans en danger dans les forêts d’Indonésie, les ONG, les associations ou les partis politiques soucieux de se battre pour la préservation de notre planète devraient donc mettre à l’honneur les visages des héros locaux qui œuvrent pour le bien-être de l’environnement à proximité.
Valoriser nos actions bénéfiques pour la planète
L’une des sources de libération de dopamine dans le système nerveux est la valorisation de l’individu en société. Depuis la nuit des temps, l’homme lutte pour se hisser dans la hiérarchie du groupe d’individus au sein duquel il vit. C’est la loi du plus fort. C’est pour cette raison que rouler dans une voiture rutilante en ville à la vue de tous apporte (à certain.e.s) du bonheur, comme être promu au sein d’une entreprise. Pour que notre comportement en faveur de l’environnement active la zone de la récompense de notre cerveau, il faut donc que nos actes soient valorisés socialement. Un exemple : certains jeunes citadins au capital culturel élevé vont revendiquer leurs achats de vêtements de seconde main, car cela est devenu une marque de distinction sociale au sein de cette population. A la fois ils réduisent leur consommation de bien neufs et les pulls ou pantalons vintage qu’ils portent sont à la mode.
Pour avoir une chance de faire bouger les comportements individuels, il faut également reconnecter les citoyens à la faune et à la flore. « Nous nous sommes extraits du système nature. Nous n’y sommes plus confrontés. Ce n’est pas en construisant un mur végétal par-ci par-là, que l’on va se la réapproprier. Il faut quelque chose qui ait plus d’impact dans le rapport à la nature des gens, comme un potager dont on s’occupe et surveille les petits progrès », conclut Isabelle Richard, fondatrice d’Environnons, un bureau de recherche en psychologie de l’environnement. Notre cerveau ne l’admet pas, mais il sera bientôt trop tard.
Camille Belsoeur – Le Temps